La crise sanitaire a rappelé à chacun que la médecine est avant tout une activité humaine : le soin aux patients, l’élaboration de traitement, l’étude de la pandémie en elle-même, tous ces domaines relatifs à la santé sont portés par des humains, il est légitime après une telle crise de s’interroger sur la place accordée à l’intelligence artificielle par le monde médical. En effet, depuis quelques années, l’intelligence artificielle a tenté d’adresser les préoccupations grandissantes qui animent les débats de la communauté médicale internationale. Au cœur des débats, les sujets relatifs à la prévention, au traitement des maladies rares, l’amélioration de la chance de survie et des conditions de vie des patients ou encore l’optimisation du temps du médecin.
Une révolution médicale ambitieuse portée par un écosystème diversifié
Ces dernières années, un écosystème s’est créé et se mobilise fortement afin de répondre à ces ambitions prometteuses. Les cliniciens, dans un premier temps, s’investissent dans la recherche médicale et dans le développement d’algorithmes. Les Etats participent également à cet effort comme la France qui avec le programme « AI for Humanity » souhaite se positionner comme l’un des leaders de l’intelligence artificielle dans le secteur de la santé notamment. Les entreprises privées ne sont pas en reste, Microsoft au travers de son programme « AI for Health » apporte un investissement de 40 millions de dollars aux organisations de santé. La prolifération des startups de pointe est également une preuve de l’intérêt croissant pour l’utilisation des nouvelles technologies dans la médecine.
Une émergence technologique confrontée à des problématiques fortes
Si l’intelligence artificielle semble être un formidable levier à activer, elle se heurte à des enjeux de taille, parmi lesquels : la donnée. Les grands enjeux « data » auxquels les projets d’intelligence artificielle sont confrontés sont : la localisation, la collecte, la structure et le traitement de la donnée avec notamment des problématiques autour des valeurs manquantes. Pour simplifier, les bases de données médicales sont hétérogènes et incomplètes.
La mise en place de modèles algorithmiques appliqués à la santé soulève également d’autres enjeux, car l’usage de l’IA dans la médecine n’est pas anodin, convaincre le corps médical de l’adopter en tant que nouvel assistant et se laisser guider dans leurs prises de décisions est un réel défi. Demander à un patient de se référer à un robot pour un pré-diagnostique lors de son entrée à l’hôpital pourrait en scandaliser certains, bien que cela soit déjà le cas en Chine, dans la province Anhui, où le robot Xiaoyi oriente les patients. Une acculturation des médecins et des patients est primordiale pour favoriser l’émergence des pratiques IA médicales.
La mobilisation des cliniciens est un enjeu primordial à adresser puisque seule leur expertise permet la mise en place d’une intelligence artificielle pertinente. L’interprétabilité des modèles est le deuxième enjeu. Elle permet de comprendre les décisions prises par l’algorithme. En effet, le phénomène appelé « black box » qui désigne le fait de ne pas être en mesure de comprendre comment le résultat de l’algorithme est obtenu devient réellement problématique voire dangereux dès lors que la vie humaine est engagée. Enfin, les modèles doivent être en capacité de s’adapter aux nouveaux cas et d’apprendre de façon continue.
Un autre challenge émerge légitimement, celui de l’éthique. Il est nécessaire de réguler et d’intégrer l’éthique dès la mise en œuvre de projet d’intelligence artificielle afin de limiter d’éventuelles dérives. Des questions se posent aussi sur le plan de la responsabilité. En premier lieu, le libre arbitre. Les médecins vont-ils perdre leur libre arbitre lorsqu’ils décideront d’appuyer leurs décisions sur les résultats d’une machine ? Qui portera la responsabilité en cas d’échec du diagnostic ? En second lieu, les biais. L’algorithme développé est le reflet des opinions du concepteur ; la disparité des méthodes utilisées entre médecins, hôpitaux ou pays soulève des questions. Elle représente même un risque si le développement des algorithmes se retrouve uniquement entre les mains de certains conglomérats. En troisième lieu, la confidentialité des données. Les données de santé sont particulièrement sensibles et le respect de la vie privée des patients doit rester une priorité absolue. Enfin, un cadre réglementaire approprié aux nouvelles technologies et à la médecine reste à définir pour sécuriser les pratiques.
Les projets IA nécessitent des investissements et engendrent des coûts, sans garantir pour autant des retours sur investissement immédiats. Le projet de déploiement de l’outil IBM Watson Health au sein du centre de cancérologie MD Anderson University en est une parfaite illustration. Le projet a couté 62 millions de dollars sans pour autant être déployé. Des questions concernant la maitrise des dépenses, le niveau d’investissements d’infrastructures IT et l’expertise métier se posent alors.
Malgré tout, ces derniers mois ont vu une recrudescence de projets dopés à la data, ce qui est une formidable preuve de la légitimité de l’intelligence artificielle dans le domaine de la santé. Ces projets couvrent l’ensemble de la chaîne médicale et portent notamment sur l’optimisation des processus de triage des patients, la prédiction des capacités hospitalières ainsi que l’évolution de l’épidémie, la circulation des bonnes informations au travers du Covid-Bot etc.
Ces initiatives prometteuses vont permettre à l’IA appliquée à la santé de franchir un nouveau cap dans son développement. Toutefois, il faut contrebalancer cette vision réjouissante en évoquant la pénurie de masques chirurgicaux, de surblouses et de main-d’œuvre dont nous avons pu être les témoins lors de cette crise sanitaire. L’Intelligence Artificielle est certainement un compagnon médical de premier choix mais ne peut se substituer à l’ensemble des besoins opérationnels auxquels la communauté médicale fait face.