Imaginons la scène suivante : un collaborateur se rend au travail et y retrouve ses collègues. Certains sont humains et d’autres, non. Il ne s'agit pas de robots au sens traditionnel du terme, mais d'agents, des entités logicielles autonomes, chacune formée à partir de vastes ensembles de données, dotée d'un pouvoir de décision et capable d'accomplir des tâches d’ordre économique, civique et opérationnel à grande échelle. Par exemple, ces agents surveillent les chaînes d'approvisionnement, traitent les dossiers médicaux, produisent des informations et régissent même nos interactions numériques.
Il ne s'agit pas d'une scène de film, mais bien d’un changement révolutionnaire qui nous attend dans un futur proche et qui impactera certainement notre façon de travailler, le fonctionnement de notre société et même celui de nos communautés. 

L'intelligence agentique : bien plus que des outils fantaisistes

Alors, qu’est-ce que l’IA agentique ? Imaginons que deux lecteurs, un analyste débutant et un économiste chevronné, doivent analyser les états financiers d’une entreprise. Tous deux peuvent comprendre les chiffres, mais seul l'un d'entre eux peut en tirer une vision stratégique. De la  même manière, les agents peuvent lire, analyser et raisonner, mais la qualité de leurs actions dépend entièrement des compétences dont ils sont dotés. Ces compétences peuvent être formées, acquises ou, ce qui est essentiel, partagées.
Dans le secteur public, cela représente une opportunité extraordinaire. Pourquoi chaque institution devrait-elle réinventer le même agent ? Pourquoi les compétences d'un agent de détection des fraudes utilisées dans un service ne pourraient-elles pas être transférées, en toute sécurité et dans le respect de l'éthique, à un autre service ?
À l’instar des collaborateurs partageant leur expertise, nous avons besoin d'une infrastructure pour mutualiser les capacités agentiques à travers les institutions numériques. Des organisations comme les Nations unies peuvent apporter leur aide, en fixant des normes à travers l'initiative du Pacte mondial pour le numérique.

Du « cloud souverain » aux « plateformes d'IA souveraines »

À l'heure actuelle, la souveraineté des données, soit le fait de conserver ses données à l'intérieur des frontières nationales, est au cœur de nombreux défis pour les entreprises. Mais quand il est question d’agents, ce qui compte vraiment, c'est où et comment les modèles sont formés, la manière dont ils sont gérés et contrôlés.
C’est pour cela que des plateformes d'IA souveraines sont vitales. De la même manière dont les départements RH gèrent les collaborateurs, ces plateformes permettraient de vérifier les références, d’assurer l'alignement, de surveiller les performances et de favoriser la collaboration.
Les gouvernements du monde entier sont déjà conscients que l'IA privée ne peut pas être construite sur des monopoles de cloud publics. L'identité numérique et la surveillance des agents doivent être ouvertes et transparentes, et non pas cachées, ad hoc ou opaques.
En conséquence, les plateformes futures doivent être ouvertes dès leur conception - dans le code, les données, les protocoles - mais gouvernées par défaut. Depuis les identifiants numériques qui authentifient non seulement les humains, mais aussi les agents et leur comportement, jusqu'aux graphiques de connaissances qui respectent les connaissances institutionnelles partagées entre les systèmes, ainsi que les pistes d'audit qui documentent chaque décision, chaque déduction, chaque demande.
Il n’est pas uniquement question de technologie, mais bel et bien d’un nouveau modèle de société numérique, conçu pour protéger les citoyens et aligner l'intelligence sur les valeurs démocratiques.

Se tourner vers l’avenir

Loin d’être aisée, cette transformation nécessitera une politique audacieuse, des investissements soutenus, une coopération transfrontalière et, surtout, un leadership technique fondé sur des valeurs.
Mais ne nous y trompons pas : la coopération numérique n'est pas facultative. Au contraire, elle est la condition à la souveraineté dans un monde agentique. Sans elle, nous nous retrouvons avec des silos, un verrouillage des fournisseurs et une dérive algorithmique. Avec elle, nous construisons un avenir où l'intelligence, qu’elle soit humaine ou artificielle, est au service du bien public.
Alors, allons au-delà des mots à la mode. Construisons des plateformes, des protocoles et des biens publics ouverts, modulaires et souverains. Traitons les agents non seulement comme des outils, mais aussi comme des membres d'une société numérique qui a besoin de gouvernance, de confiance et de coopération. Et peut-être que quand nous regarderons aujourd'hui du point de vue de demain, nous nous souviendrons de ce moment non pas comme d'une crise, mais comme du moment où nous avons choisi de gouverner l'avenir ensemble.