Patrimonialisation des données vs RGPD. Quelles conséquences ? 2/3

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Patrimonialisation des données vs RGPD. Quelles conséquences ? 2/3

 

Cette seconde partie de l’article poursuit l’exploration et le décorticage de la proposition “se faire payer pour aller sur Facebook” émise par le Think Tank Génération Libre.

Si vous n’avez pas lu la première partie. C’est ici.

Continuons notre exploration qui nous plonge dans les racines du Droit puis nous tenterons ensemble de déterminer la valeur économique de la donnée dans le cadre de la patrimonialisation.

Le Droit de la propriété appliqué à mes données. Ça change quoi pour moi ?

Tout d’abord, “La propriété permet de jouir d’un bien, d’en user de manière absolue et exclusive”

En étant propriétaire de droit de ses données, un internaute pourrait en disposer et les céder comme bon lui semble.
Très bien … mais cela impliquerait l’abandon de tous les droits définis dans le Règlement Européen RGPD.

Je n’ai fait mention jusqu’à présent que du droit de retrait et du droit à l’oubli.

Y-en a t-il d’autres ? Quels sont-ils ?

Voici la liste des droits auxquels on ne pourrait plus prétendre :

“droit à la vie privé, droit à la protection, droit à l’oubli, droit d’accès, droit à la rectification, droit à l’effacement, droit à l’erreur, droit à la transparence, droit à connaître, droit de se faire communiquer, droit au déréférencement, droit à la portabilité, droit de faire rectifier, droit d’opposition, droit à la conservation, droit au transfert”.

Eric Gardner de Béville, Cercle Montesquieu.

Dans le cadre du droit de la propriété, en choisissant de monnayer ses données avec un tiers en échange de la gratuité du service on abandonnerait toutes ces protections.

Pourquoi ?

La raison en est simple, les attributs constitutifs de la propriété (usus, fructus, abusus) seraient transférées à l’acquéreur (tiers numérique, plateforme, …) lors de la cession définitive de ses données personnelles. C’est le principe même de la propriété (abusus). Inutile de s’étendre.

Les juristes qui militent en faveur de la patrimonialisation expriment clairement l’abandon des protection qui est induit par la cession des données. Ainsi comme le rappelle Alain Bensoussan,

“La liberté de décision du citoyen sur ses données numériques doit en la matière être le principe fondamental et la protection, l’exception

Celui-ci ajoute dans un entretien au magazine Archimag qu'”En la matière, l’individu devrait pouvoir monétiser ses propres données, et en devenir en quelque sorte le « trader » de leur exploitation”.

Si on devenait propriétaire de ses données, “On serait payé pour aller sur Facebook !” comme l’annonce Gaspar Koening en fervent militant de cette mesure.

 

Le Conseil d’Etat, pour sa part, refuse le principe du droit de propriété sur les données à caractère personnel. Il justifie sa position par la crainte de « la fragilisation de toute la réglementation publique de l’utilisation des données personnelles ».
Il milite depuis longtemps pour un renforcement du droit attaché à l’individu et pèse de tout son poids afin de faire obstacle au droit de propriété appliqué aux données.

Au-delà d’être payé, on comprend désormais quels en sont les enjeux.

Arrivé à ce stade, je me suis penché sur la question de la rémunération. Que pourrais-je obtenir en regard ?
Pour répondre il faut déterminer la valeur de mes datas.

Mais que valent mes données personnelles ?

C’est une question difficile. Il n’y a pas de théorie définitive ni de prix unique indiscutable.

Tout dépend de la nature de l’activité de l’acquéreur et surtout de sa maturité digitale.

En reprenant les conclusions du rapport du Conseil d’État, il existe trois grands types de valeur à la donnée :

– Pour les acteurs économiques les moins sophistiqués dans l’utilisation des données.
La donnée s’évalue comme une matière première que l’on peut vendre, acheter et parfois agréger via des brokers spécialisés. On valorise un stock.

C’est une valeur de levier, une vision marketing et patrimonial.
Dans ce cadre, les données unitaires (adresse, nom, téléphone, etc) n’ont une valeur que de l’ordre quelques centimes à quelques euros tout au plus.
C’est la valeur marchande de base.

– Pour les acteurs intermédiaires, les données constituent un levier et un gain d’opportunité.
Elles leur apportent un supplément de valeur dans l’exploitation de leur système d’information interne (customer relationship management – CRM et entreprise resource planning – ERP).
Pour ces acteurs, la donnée sert de support pour, d’une part, amplifier l’engagement du client envers les produits de l’entreprise à l’aide de techniques de personnalisation et de profilage et d’autre part optimiser les processus de fabrication et de gestion (maintenance prédictive, prévision de stock et de vente).

– Pour les acteurs les plus en pointe ayant atteint le degré le plus abouti dans l’utilisation des données personnelles, la donnée acquiert alors une valeur d’actif stratégique permettant de constituer une position dominante sur leur marché.
Les données constituent, contrairement aux cas précédents, le coeur des produits-services et entrent alors au plus profond de leur mécanisme de leur fabrication.

Par exemple, le service de traduction de Google – Google Translate – génère la traduction d’un texte grâce à l’ensemble de tous les textes traduits d’une langue vers une autre.
De plus, chaque utilisation du service permet au moteur de calcul statistique d’augmenter la qualité des prochaines traductions.

Ce sont ces acteurs qui font de la donnée personnelle des usagers l’utilisation la plus poussée … et qui en retirent les plus gros bénéfices commerciaux.
En bonne logique, il faut se tourner vers eux afin de valoriser ce constituant premier de leur service.

Le cas Facebook

Prenons le cas le plus emblématique.
Facebook a généré 19 milliards de dollars de revenue aux USA et au Canada en 2016.
Pour ce faire, la plateforme sociale agrège les données de ses utilisateurs telles que âge, domaines d’intérêt, parmi d’autres ainsi que l’historique d’utilisation de ses services globaux (Facebook, Messenger, Instagram et What’sApp) et de son réseau partenaire.

La base d’utilisateurs mensuels actifs du réseau social (monthly average active users – MAU) s’élevait la même année à 235 millions de personnes. Ce qui porte la valeur de chacun d’entre eux à 80 $ (average revenue per user – ARPU) pour ses usagers nord américains.

Lee Schafer dans un article à la revue phys.org, estime que ces internautes génèrent 4 fois plus de revenu que ceux des autres continents.
On aboutit donc à une valeur globale mondiale de 20 $ par usager après correction.

Élargissons maintenant à toute la filière de la publicité en ligne.

La filière de la publicité en ligne

Les données personnelles sont échangées continûment et dans des proportions très importantes (retargeting, etc) par le secteur de la publicité en ligne.

Le poids de cette activité représente, pour l’année 2016, 83 milliard de dollars de revenu (Facebook en représente une grosse part). Soit 240 $ par utilisateur.

En résumé, les données personnelles sont valorisées de quelques centimes à quelques 
centaines de dollars selon les acteurs économiques qui en font usage.

Avant de conclure, allons un cran plus loin dans le raisonnement et abandonnons la valorisation moyenne et indifférenciée pour chaque usager.

On peut imaginer une rétribution qui tiendrait compte du volume de données généré par l’usager.
Ce ne serait plus une logique de stock valorisé au prorata des usagers mais une logique de flux.

Pour valoriser les données d’un usager, il faut tenir compte de la richesse et du volume de ses interactions sur la toile.

En effet, comme l’affirme le sociologue Bruno Marzloff,

« la valeur d’une donnée est proportionnelle au carré du nombre de données auxquelles elle est associée ».

C’est dans une logique similaire que YouTube.com rétribue ses usagers les plus prolixes au prorata du nombre de vues et d’abonnés (1,000 vues = 1 €).

Nous analyserons l’impact de la patrimonialisation sur le modèle d’affaires des plateformes dans la prochaine et dernière partie.


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Contributeur expert

Franck Bardol
Franck Bardol est Professeur associé en Grande École, Formateur en Entreprises et Consultant

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