Alors que Starfish Neurosciences vient de révéler sa feuille de route, visant notamment à minimiser le côté invasif de son futur dispositif et à favoriser une implantation d’interfaces dans des différentes régions du cerveau. Les interfaces cerveau-machine (ICM), longtemps reléguées aux laboratoires de recherche ou aux œuvres de science-fiction, pourraient s’inscrire dans notre quotidien de manière durable. Mais cette innovation, loin de n’être qu’une énième prouesse technologique, marque un tournant dans notre rapport au corps, à la pensée… et à l’humain lui-même.
Depuis sa création, l’Homme n’a cessé de développer des outils pour compenser ses faiblesses et repousser ses limites. Les ICM représentent d’une certaine manière l’aboutissement de cette dynamique : elles ne prolongent plus simplement nos membres, comme avec le smartphone, mais elles s’immiscent désormais au cœur de notre cognition. Le philosophe Marshall McLuhan évoquait la technologie comme l’extension du corps ; les ICM sont davantage celles de l’esprit.
Toutefois, une question importante se pose : jusqu’où pouvons-nous hybrider l’humain sans en altérer l’essence ? À l’image du cyborg de Donna Haraway, ces nouvelles interfaces redessinent les frontières entre nature et technologie, liberté et dépendance, identité et algorithme. Une mutation est amorcée — à la fois fascinante, inquiétante, et profondément philosophique.
Concrètement, de quoi parlons-nous ?
Définit par l’Inserm comme un système de liaison directe entre un cerveau et un ordinateur, un ICM permet à une personne d’effectuer des tâches sans recourir aux nerfs périphériques et aux muscles. Grâce à la mesure de l’activité cérébrale et à sa conversion en sorties fonctionnelles, il permet notamment à des personnes souffrant de handicaps majeurs de retrouver une certaine autonomie. Via un dispositif, implanté dans le cerveau ou un capteur externe, une personne amputée trouve la capacité de contrôler les mouvements d’une prothèse par la pensée. Des personnes souffrant de la maladie de Charcot, ou sclérose latérale amyotrophique, sont aujourd’hui capables de « communiquer » via la traduction de leurs signaux cérébraux en paroles avec une précision grandissante.
Les ICM, et leurs fonctions (acquisition, traitement et activation du signal) laissent entrevoir de véritables prouesses dans certains secteurs. Leurs principales applications - existantes et émergentes – sont essentiellement dans les domaines de la santé, notamment en matière de soins, de la défense et des jeux vidéo. Si leur adoption reste de niche dans l’entreprise, notamment en raison de leurs coûts onéreux, leur potentiel est avéré. Elles pourraient in fine amplifier les compétences et soutenir le développement de niveau de performance d’équipes opérationnelles.
Pour tirer parti du potentiel des ICM, le marché devra se structurer rapidement. Les progrès technologiques sont encore inégaux selon les composantes d’une interface, notamment au niveau des capteurs, élément central du dispositif. Mais le développement des interfaces cerveau-machine suit des trajectoires distinctes selon les secteurs et la promesse des révolutions associées.
Aujourd’hui, l’innovation dans le domaine médical est surtout portée par des plateformes open source et des start-ups (Neuralink, Synchron, Blackrock Neurotech, Precision Neuroscience, Starfish Neurosciences, etc.) qui bénéficient du soutien financier des États, d’investisseurs privés et d’agences gouvernementales comme la DARPA aux États-Unis, tandis que l’industrie du jeu vidéo progresse de manière indépendante.
Quelles perspectives ?
La technologie des interfaces cerveau-machine a le potentiel d'être très disruptive à bien des égards, avec une possible adoption généralisée dans les 10 à 15 prochaines années, notamment dans certains secteurs déjà prescripteurs, comme la santé où ils auront un impact social inévitable.
Pour pouvoir percer dans le monde des entreprises, le développement des ICM dépendra de plusieurs facteurs clés, tels que les avancées techniques, la conception des systèmes, l’attrait du marché et surtout leur accessibilité. La trajectoire de ces systèmes sera tout aussi dépendante des facteurs tiers tels que le débit (soit la rapidité et l'efficacité de la traduction des signaux cérébraux en résultats significatifs), l'utilité (soit la gamme d'applications utiles au-delà des niches actuelles) et la réglementation.
Mais la pénétration des ICM dépendra en grande partie des évolutions de notre société en termes d’acceptabilité et de politiques. Elles sont réelles, puissantes et pleines de potentiel, mais leur évolution est loin d'être simple. À mesure que la technologie progresse, les grandes questions ne seront plus seulement scientifiques, mais aussi éthiques, économiques et sociétales. Face à elles, il nous faudra affirmer ce qui est de l’ordre du possible et de ce qui est souhaitable. Sommes-nous prêts à nous y confronter davantage ?
Par Albert Meige, Associé et Global Director du Blue Shift institute - Arthur D. Little