Comédienne, auteure, metteure en scène, Françoise Cadol est également l’une des grandes voix du doublage français. Documentaire, publicité, adaptation française de film ou de jeu vidéo, son nom vous est peut-être inconnu, mais il y a fort à parier que son timbre, lui, vous soit familier. Voix emblématique de Lara Croft depuis 1996, elle vient de mettre en demeure l'éditeur de Tomb Raider, Aspyr MEDIA, pour avoir utilisé une version clonée de sa voix générée par IA, sans son consentement, et ce, bien qu’elle ait exercé son droit d’opt-out.
 
Françoise Cadol est la voix française d’Angelina Jolie, Sandra Bullock, Patricia Arquette ou celle du personnage de Mary Alice Young, la narratrice de la série Desperate Housewives. Elle fait partie des comédiens du doublage qui travaillent dans l'ombre, mais dont le talent contribue à la qualité et au succès des productions audiovisuelles. Une profession menacée par la GenAI...

Lutte contre le clonage des voix par l'IA

Françoise Cadol milite activement au sein de l’association Les Voix, qui fédère les professionnels du secteur depuis 2023 face aux usages non consentis de l’IA générative.
Selon Patrick Kuban, l'un des co-fondateurs, près de 15 000 emplois pourraient être impactés par l'IA : les doubleurs, mais également les traducteurs et les techniciens.

Elle est aussi une figure du mouvement "Touche pas à ma VF", initié en 2024 à la suite de la pétition lancée par l'association avec le Syndicat Français des Artistes interprètes (SFA) de la pétition "TouchePasMaVF : Pour un doublage créé par des humains pour des humains", et a formalisé son opposition à l’utilisation de sa voix dans l’entraînement de systèmes génératifs via le droit d’opt-out. 

Encore faut-il que ce choix soit respecté, ce qui n’a manifestement pas été le cas dans la procédure qui l'oppose à Aspyr MEDIA : la voix de Lara Croft que l'on retrouve dans la mise à jour de la compilation de jeux vidéos Tomb Raider IV-VI Remastered du 14 août dernier, a en fait été générée par l'IA. Alertée par sa communauté de fans, l’actrice s'est dite choquée de constater que sa voix avait été reproduite sans son accord pour de nouvelles répliques.
Elle a rapidement fait constater l’usage par voie d’huissier et a adressé, avec son avocat Me Jonathan Elkaim, une mise en demeure à l’éditeur.

Celle-ci rappelle que: 

  • La voix est un attribut de la personnalité protégé par l’article 9 du Code civil et l’article 226-1 du Code pénal ; 
  • Selon le RGPD, la voix est considérée comme une donnée biométrique, dont l’usage sans consentement est strictement interdit ; 
  • L’AI ACT européen ainsi que le droit français (article 226-8 du Code pénal) obligent les éditeurs de contenu utilisant un procédé algorithmique à le mentionner ;
  • Le droit de la propriété intellectuelle (et droits voisins) confèrent un contrôle exclusif sur la fixation et la reproduction des interprétations des artistes interprètes.

Selon Me Elkaim, il s'agit "d'une exploitation commerciale claire et assumée" alors que "l’éditeur ne pouvait ignorer ces obligations, d’autant que ma cliente avait exercé son droit d’opposition".

Cette affaire illustre un dilemme qui dépasse le seul jeu vidéo. L’IA générative facilite la reproduction des voix, ouvrant des perspectives de production plus rapides et moins coûteuses. Mais elle soulève aussi la question de la valeur accordée aux artistes, à leur travail et à leur consentement.

Si elle va devant les tribunaux, elle pourrait accélérer la normalisation des pratiques et, paradoxalement, contribuer à stabiliser le marché de l’IA vocale.