ActuIA s’est entretenu avec Jean-Marie Saint-Paul (Siemens) et François Weiler (Altair) pour comprendre les enjeux du rapprochement entre les deux sociétés. Ce dialogue éclaire la stratégie logicielle de Siemens, les ambitions européennes autour de l’intelligence artificielle industrielle, et la complémentarité technologique des deux entreprises.
Le rapprochement entre Siemens et Altair a été officialisé récemment. Que pouvez-vous nous dire sur les contours de ce deal ?
Jean-Marie : Ce rapprochement s’inscrit dans la stratégie engagée par Siemens il y a une vingtaine d’années, visant à devenir un acteur majeur du logiciel industriel. Siemens, entreprise technologique depuis près de 180 ans, est aujourd’hui le leader mondial de l’automatisation industrielle. Altair, reconnu pour son expertise en simulation et en intelligence artificielle, vient compléter cette vision. Ensemble, nous renforçons notre portefeuille logiciel pour offrir une continuité numérique allant de la conception à la production.
Pourquoi Altair, précisément ?
François : Altair arrivait à une étape où il devenait difficile de croître seul. Dans un contexte de compétition mondiale, rejoindre Siemens permettait d’accéder à plus de ressources, de visibilité et de stabilité. C’est aussi un choix guidé par la culture technologique de Siemens, qui partage avec nous une approche sincère et ouverte de l’innovation.
Jean-Marie : Avant cette acquisition, Siemens réalisait près de 8 milliards de dollars de chiffre d’affaires dans le logiciel, ce qui nous plaçait déjà parmi les leaders mondiaux. L’arrivée d’Altair nous permet de compléter notre portefeuille avec des technologies avancées en simulation et en IA.
Quelles complémentarités technologiques identifiez-vous entre les deux structures ?
François : Deux axes majeurs : la simulation et l’intelligence artificielle. Altair est reconnu pour la simulation mécanique, électromagnétique et des procédés. Siemens est leader en mécanique des fluides et en simulation système. Ensemble, nous formons un socle technologique robuste, couvrant l’ensemble du cycle de vie industriel.
Jean-Marie : Cette alliance fait de nous le numéro deux mondial de la simulation. Nous partageons aussi une vision commune d’ouverture : nos plateformes sont interopérables avec les principaux formats de CAO et PDM du marché, ce qui est rare dans l’industrie.
En matière d’intelligence artificielle, quelles perspectives ce rapprochement ouvre-t-il ?
François : Altair apporte RapidMiner, notre plateforme d’analyse de données et d’IA. Siemens est quant à lui le premier déposant de brevets IA en Europe. C’est une IA industrielle, intégrée de façon diffuse dans les équipements, les logiciels et les automates.
Jean-Marie : Chaque jour, environ 10 000 automates Siemens sont déployés dans le monde. Ces équipements génèrent d’énormes volumes de données – des pétaoctets par jour. L’enjeu est de transformer ces données en intelligence, grâce à des algorithmes embarqués, adaptatifs, et sécurisés. Nous travaillons sur des modalités industrielles, c’est-à-dire des représentations adaptées aux usages et aux objets techniques.
Comment vous positionnez-vous sur les enjeux de souveraineté ?
Jean-Marie : Siemens est une entreprise européenne, attentive à la souveraineté numérique. Cela change la donne vis-à-vis des clients, notamment dans les discussions autour de l’IA Act, du cloud et de la confidentialité des données. Nous offrons une architecture flexible, qui permet un traitement local, sur site, ou distant selon les besoins.
François : C’est un vrai changement pour Altair, qui était un acteur américain. Le fait de rejoindre un groupe européen facilite notre dialogue avec les industriels du continent. La réglementation évolue vite, et notre positionnement devient un atout dans un cadre de confiance.
Et l’Europe dans tout ça ? Peut-elle jouer un rôle clé dans l’IA industrielle ?
François : L’IA industrielle est encore un terrain ouvert. Contrairement au B2C, les positions ne sont pas figées. L’Europe dispose d’un tissu industriel fort, de données riches, et d’acteurs technologiques solides. Il faut mobiliser ces atouts pour ne pas rater cette nouvelle vague.
Jean-Marie : Nous avons les infrastructures, la réglementation, l’expertise. L’IA industrielle peut devenir un fer de lance stratégique pour l’Europe, à condition d’agir vite.
Pour conclure, y a-t-il une technologie Altair que vous admiriez particulièrement ?
Jean-Marie : RapidMiner. C’est un outil puissant et accessible pour l’analyse de données. Couplé à notre maîtrise des environnements industriels, il nous permet d’accélérer le déploiement de l’IA dans les usines.
François : Ce rapprochement marque un tournant pour l’IA industrielle en Europe. Ensemble, nous avons les briques technologiques, les données, les clients et la vision. Il y a une vraie carte à jouer.