Le passage à la phase industrielle est une problématique récurrente dès que l’on parle de “nouvelles technologies” et que l’on souhaite sortir du cycle des preuves de concept (POC) pour les transformer en services ou applications opérationnelles.
Le cas de l’Intelligence Artificielle est un peu particulier parce que c’est une “nouveauté technologique” depuis plus de 50 ans, pratiquement aussi vieille que l’informatique. En outre, l’IA est déjà dans nos vies quotidiennes depuis plusieurs années au travers du Web, des moteurs de recherche, de recommandations ou les assistants vocaux.
Enfin, l’IA a déjà connu une phase industrielle puisque de grands groupes ont déployé dès les années 90 des systèmes à bases de connaissance qui ont démontré leur efficacité. Aujourd’hui encore, de grandes entreprises utilisent des systèmes experts en production.
Le passé de l’IA conseille pour son avenir
Malgré la dynamique autour de l’AI et sa forte visibilité, quand elle touche au cœur de métier d’une entreprise ou à une compétence individuelle, il subsiste parfois des difficultés de “passage à l’échelle”. Celles-ci peuvent être liées à des inquiétudes telles que la crainte de perdre un emploi, de ne pas savoir maîtriser les outils ou de ne pas pouvoir contrôler la situation. En outre, des facteurs techniques comme la fiabilité des algorithmes, l’explicabilité des résultats et la sécurité peuvent freiner les mises en production opérationnelles.
Le long parcours de l’Intelligence Artificielle et les faux pas du passé nous éclairent cependant pour déterminer comment favoriser encore plus l’industrialisation des nouvelles offres de l’IA.
Les données ne sont pas seules à garantir le succès d’un projet IA
Un des objectifs de l’IA étant de simuler le savoir-faire humain, l’implication des utilisateurs finaux et des experts métier relève du bon sens. Ainsi, une des premières clés pour le succès d’un projet IA est nécessairement d’y inclure une approche Design (au sens méthode de conception). Imaginer ou voir un projet d’IA comme un simple traitement de données chiffrées ne peut qu’être voué à l’échec. Un projet d’IA ne peut réussir que s’il inclut des designers ou une méthode de type Design pour associer utilisateurs et experts.
Par exemple, lors de Vivatech 2019, la SFIL (banque de l’État au service des collectivités), a présenté un projet d’aide à l’octroi de crédit basé sur du Machine Learning, piloté par la Direction des Risques Crédit, avec l’implication continue d’analystes et de spécialistes des prêts aux collectivités de la banque.
En complément de la méthode, le deuxième facteur qui permet de lever les craintes vis-à-vis de l’Intelligence Artificielle et de faciliter son adoption est la formation. L’IA reste encore un domaine parfois complexe (puisqu’il s’agit notamment de mathématiques, d’algorithmes, de statistiques), avec des espoirs, des fantasmes et des non-dits. Il est donc fondamental d’accompagner, former, acculturer tous les acteurs des entreprises. Il ne s’agit pas d’apprendre à programmer mais de connaître le champ des possibles et les limites d’une technologie qui transforme les métiers et les usages.
La formation doit aussi être conçue et dispensée avec une approche large et des cursus adaptés afin que, sous toutes ses formes, l’IA bénéficie à tous ceux qui y seront confrontés (médecins, avocats, architectes dirigeants de TPE/PME etc.)
A ce titre, l’Institut Léonard de Vinci propose un intéressant MBA au Management de l’IA qui permet à des non-professionnels de l’IA d’acquérir des compétences méthodologiques et techniques en parallèle sur leur activité.
Enfin, le troisième axe de succès est l’articulation avec les DSI. Un projet d’IA n’est pas qu’un projet d’informatique mais il contient malgré tout de fortes composantes techniques ! Il faut donc laisser les métiers piloter ce type de projet tout en mettant à disposition l’environnement indispensable comme l’authentification commune, un format de données standardisé, un accès aux données sécurisé et, le cas échéant, en flux continu, la possibilité de communiquer avec les plateformes externes de développement ou d’hébergement, etc…
La DSI doit donc se positionner en acteur facilitateur du projet en acceptant de ne pas être le porteur ou pilote direct.
Un contexte politique porteur est aussi indispensable
Au-delà de ces trois facteurs, les projets d’IA, qui combinent une forte composante technique, les résultats de recherches scientifiques et la mise en oeuvre de plateformes performantes, ont aussi et surtout besoin d’un contexte macro-économique favorable. Il y a, pour viser un déploiement industriel massif, la nécessité d’une forte impulsion politique. Les variations des investissements dans le passé ont été à l’origine des “hivers de l’IA” et démontrent l’influence de l’intérêt des pouvoirs publics pour favoriser l’essor de telles technologies.
Dans les pays asiatiques, Chine, Japon, par exemple, ou aux Etats unis, les solutions opérationnelles déployées en production, découlent d’une véritable volonté gouvernementale d’être leaders dans ces domaines.
L’intelligence artificielle est en effet considérée comme un enjeu stratégique. La France ne peut pas lutter à armes égales : quand elle mobilise 1,4 milliards d’euros, Samsung annonce 22 milliards en R&D dans ce domaine, un sénateur américain propose le vote d’une enveloppe de 100 milliards dans la recherche et Softbank ouvre un fonds dédié de 100 milliards de dollars.
S’il y a un risque de « bulle spéculative » face à ces annonces, il n’en reste pas moins que le combat ne peut se mener qu’au niveau Européen pour mobiliser, en urgence, des moyens à la hauteur des enjeux.
L’Europe a l’ambition forte de se positionner sur les aspects “éthiques et IA”, sujets importants. Elle doit cependant également initier de grands projets technologiques axé sur l’IA (dans l’environnement, l’agriculture”, la santé”, etc…).
La majorité des Open Source, des hébergements, des frameworks sont américains alors que nous avons des équivalents au moins aussi performants (ScikitLearn, OVH, …).
L’Europe a pourtant su montrer sa capacité à déployer des solutions technologiques qui s’imposent ensuite comme des références. Galileo est, ainsi, un des exemples d’une impulsion technologique réussie au niveau européen, créant des emplois et s’avérant le système de positionnement le plus précis au monde.
Si l’Europe n’initie pas rapidement l’équivalent d’une « Politique Agricole Commune » ou un Galileo de l’IA, le risque est de vivre avec l’IA ce qu’on a vécu avec le Web : inventé en Europe mais dirigé par les US voire la Chine. La réussite de l’industrialisation massive des projets d’Intelligence Artificielle se joue donc dès maintenant à l’échelle européenne.
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