Lors d’un jugement rendu ce 4 juillet, la Cour européenne des droits de l’homme a statué que l’utilisation de la technologie de reconnaissance faciale à l’encontre d’un manifestant du métro de Moscou constitue une violation des droits fondamentaux de la Convention européenne des droits de l’homme : les droits à la vie privée et à la liberté d’expression.
L’affaire concerne Nikolay Sergeyevich Glukhin, un ressortissant russe né en 1985 et résidant à Moscou.
Le 23 août 2019, M. Glukhin a voyagé dans le métro de Moscou avec une figurine en carton grandeur nature de Konstanin Kotov, tenant une banderole qui disait : “Je risque jusqu’à cinq ans… pour des manifestations pacifiques”.
Le cas de ce prisonnier d’opinion avait suscité une attention médiatique considérable et une vive réaction du public.
Défenseur des droits humains, Konstantin Kotov a été condamné, le 5 septembre 2019, à une peine de quatre ans d’emprisonnement pour avoir pris part à des manifestations pacifiques. Son cas a ensuite été réexaminé par le tribunal municipal de Moscou qui l’a condamné en avril 2020 à passer un an et demi dans une colonie pénitentiaire.
Lors d’une surveillance Internet de routine, la police a découvert des photographies et une vidéo de la manifestation de M. Glukhin dans le métro, téléchargées sur un site de médias sociaux public.
Selon lui, ils ont dû utiliser la technologie de reconnaissance faciale pour l’identifier à partir des captures d’écran du site de médias sociaux, collecter des images des caméras de surveillance en circuit fermé (CCTV) installées dans les stations du métro de Moscou qu’il avait empruntées le 23 août 2019, puis utiliser la technologie de reconnaissance faciale en direct pour le localiser et l’arrêter quelques jours plus tard alors qu’il se déplaçait dans le métro.
M. Glukhin a ensuite été condamné dans le cadre d’une procédure d’infraction administrative pour ne pas avoir informé les autorités de sa manifestation solitaire à l’aide d’un “objet rapidement (dé)assemblé”. Il a été condamné à une amende de 20 000 roubles russes (environ 283 euros). Les captures d’écran du site de médias sociaux et les enregistrements vidéo des caméras de surveillance CCTV ont été utilisés comme preuves à charge contre lui.
Le 30 octobre 2019, la Cour de la ville de Moscou a confirmé sa condamnation en appel, estimant en particulier que le caractère pacifique de sa manifestation était sans importance et que l’infraction avait été découverte et les preuves recueillies conformément à la loi sur la police.
L’affaire GLUKHIN vs RUSSIA
M. Glukhin a déposé une requête auprès de la Cour européenne des droits de l’homme le 31 janvier 2020.
Le plaignant a affirmé que sa condamnation administrative et l’utilisation de la technologie de reconnaissance faciale dans le traitement de ses données personnelles ont enfreint ses droits protégés par les articles 8 (droit au respect de la vie privée) et 10 (liberté d’expression) de la Convention européenne des droits de l’homme. En outre, en se référant à l’article 6 (droit à un procès équitable), il a dénoncé le caractère injuste de la procédure engagée contre lui en raison de l’absence de partie poursuivante.
La décision de la Cour
La Cour a établi qu’elle était compétente pour traiter l’affaire, car les faits à l’origine des violations alléguées de la Convention se sont produits avant le 16 septembre 2022, date à laquelle la Russie a cessé d’être partie à la Convention européenne.
La Cour a conclu à l’unanimité que le traitement des données personnelles de M. Glukhin dans le cadre de sa manifestation pacifique, qui n’avait causé aucun danger pour l’ordre public ou la sécurité, avait été particulièrement intrusif. L’utilisation de la technologie de reconnaissance faciale dans son cas était incompatible avec les idéaux et les valeurs d’une société démocratique régie par l’État de droit.
Pour elle, il y a bien violation des articles 8 et 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, la Russie est donc condamnée à payer 16 200 euros de dommages et intérêts à Mr Glukhin.
Cette décision de la Cour européenne des droits de l’homme soulève des questions importantes quant à l’utilisation de la reconnaissance faciale. Elle met en lumière la nécessité de garantir un équilibre entre la sécurité publique et la protection de la vie privée, ainsi que le respect des droits fondamentaux tels que la liberté d’expression.
Les défenseurs des droits de l’homme saluent cette décision comme une étape cruciale dans la protection des droits individuels face à l’expansion croissante de la surveillance technologique. Ils appellent les gouvernements et les législateurs à mettre en place des garanties juridiques solides pour prévenir les abus potentiels de la reconnaissance faciale et protéger les droits fondamentaux des citoyens.
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