Pourquoi la tech européenne a-t-elle autant de peine à combler son retard ?

Le retard de la tech européenne face aux Etats-Unis et à la Chine est notoire. Dans une analyse publiée par l’Institut Montaigne, Gilles Babinet et Olivier Coste, deux experts de la tech, analysent les raisons de cet écart croissant et mettent en lumière les facteurs pénalisant l’Europe en matière de développement numérique.

Créé en 2000 par Claude Bébéar, association à but non lucratif, l’Institut Montaigne est une plateforme de réflexion, de propositions et d’expérimentations consacrée aux politiques publiques françaises et européennes.

Les auteurs de l’analyse

Gilles Babinet, entrepreneur dans le numérique, y est Conseiller des questions numériques. Il a été le premier président du Conseil National du Numérique entre avril 2011 et avril 2012 et en est aujourd’hui le co-président. Il a également été nommé « Digital Champion » auprès de la Commission européenne en 2012 et représentait la France pour les enjeux d’inclusion et d’éducation liés au numérique.

Olivier Coste, entrepreneur dans la high tech, après avoir travaillé durant cinq ans à la Commission européenne, a été en charge des affaires industrielles au Cabinet de Lionel Jospin de 1997 à 2000. Il a ensuite travaillé pour Alcatel où il a exercé différentes fonctions, dont celle de Président d’Alcatel-Lucent Mobile Broadcast de 2006 à 2009. Il a publié le livre « L’Europe, la Tech et la Guerre » en novembre dernier, dont sont issues les données de l’analyse.

Le retard croissant de l’Europe sur un fond de rivalité sino-américaine

Pour Gilles Babinet et Olivier Coste, la nouvelle rivalité sino-américaine surplombe la compétition mondiale et l’Europe, qui accusait déjà un retard significatif, voit sa position se dégrader. Pour eux, ce retard n’a pourtant rien d’inéluctable puisque les causes sont bien identifiées et traitables.

La Chine entend rattraper son retard par rapport aux Etats-Unis dans le domaine de la tech et n’a d’ailleurs pas caché son ambition d’être le leader mondial de l’IA d’ici 2030.

Alors que la pandémie de covid-19 a révélé la dépendance de l’Europe par rapport à la Chine dans le marché des semi-conducteurs, le gouvernement Biden a fait de l’implantation de nouvelles usines de semi-conducteurs une priorité nationale. En août dernier, il adoptait  le CHIPS and Science Act visant à assurer la place des Etats-Unis en tant que leader mondial de la science et de la technologie. Cette loi octroie 280 milliards de dollars à l’industrie américaine de la Tech pour contrer la Chine, dont 52,7 milliards de dollars pour les semiconducteurs.

L’investissement dans la R&D en chute côté européen

Les auteurs publient un graphique montrant que la part de la R&D dans la tech rapportée au niveau mondial a diminué entre 2005 et 2020 en Europe. Durant cette période, La France qui était à 6% et l’Allemagne à 8% sont toutes deux descendues à seulement 2%, tandis que les Etats-Unis sont passés de presque 54% à un peu plus de 62% et la Chine de moins de 2% à environ 15%.

Selon les chiffres de la Commission européenne, en 2020, l’UE investissait cinq fois moins en R&D privée dans la Tech que les États-Unis (200 Mds€ vs 40), alors que la Chine atteignait les 64 Mds€, dépassant largement l’Europe.

Classement des grandes entreprises selon leur investissement dans la R&D

Toujours selon les chiffres de la Commission Européenne, mais concernant pour ce classement l’année 2019, les grandes entreprises qui investissaient le plus dans la R&D étaient pour la plupart américaines. En tête, on trouvait Alphabet (Google) et Microsoft, puis Huawei et Samsung Electronics avant Apple, Facebook, Intel. Côté Europe, Nokia et SAP se retrouvent en 14ème et seizième position, pratiquement à égalité, et Ericsson à la 19ème place.

L’investissement dans les start-ups

En 2021, l’investissement dans les start-ups en Europe était trois fois moindre qu’aux Etats-Unis où il est d’environ 320 Mds$. Ce qui risque de ne pas s’arranger, selon l’enquête « AI Act Impact Survey » , près des trois quarts des sociétés de capital-risque participantes s’attendent à ce que la loi sur l’IA réduise la compétitivité des startups IA en Europe et + de 36% d’entre elles envisagent de se tourner vers les startups en dehors de l’UE.

Comparaison des montants levés en Europe en 2021

La France arrive en 3ème position des pays européens ayant levé le plus de fonds derrière le Royaume-Uni et l’Allemagne. Cependant, elle attire pratiquement trois fois moins d’investissements que le Royaume-Uni (11,3 Mds€ contre 32,2). L’Allemagne, qui a un PIB 40% supérieur à celui du Royaume-Uni, n’attire quant à elle que 16,3 Mds€ d’investissements, soit environ la moitié.

Capitalisation des entreprises et nouvelles licornes

Au niveau des capitalisations, le Royaume-Uni garde la tête du classement, avec 245 milliards d’euros de capitalisations cumulées en 2021, contre 89 milliards en France. Il comptait 22 licornes et la France 16.

Pourquoi l’Europe ne réussit-elle pas à combler l’écart?

Les causes généralement invoquées que rapportent les auteurs sont: « une culture européenne plus réticente à la prise de risque ; la fragmentation du marché européen ; des capitaux insuffisants ; une réglementation nuisible à l’innovation ; une politique de la concurrence fragilisant les champions européens, en bloquant les fusions et en limitant les aides publiques… ».

Cependant, pour eux, le principal facteur pénalisant l’Europe est le coût de restructuration d’une équipe de R&D qui atteint environ 200 000 € par personne dans une grande entreprise, montant même à 250 000 € en Allemagne. Ce coût inclut la durée de la négociation sociale, les indemnités de départ, les mesures de reclassement ou de réindustrialisation mais il n’existe  pas aux États-Unis, pas plus qu’en Chine ou en Inde…

Aux Etats-Unis, les start-ups devenues aujourd’hui les GAFAM, tout comme Intel, n’hésitent pas à investir dans la tech, ces sociétés ont d’ailleurs financé les 3/4 des 200 Mds de R&D dans la Tech en 2021. Aucun groupe, qu’il soit européen ou non, ne se hasarde à investir de telles sommes en Europe du fait des coûts de restructuration. Pour les auteurs, une réforme de ces coûts s’avère nécessaire pour que l’Europe comble son retard.

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