Regard humain sur la Vallée de l’étrange : voyage initiatique à la découverte des machines

Le robot androïde humanoïde Alter au musée Mirakian de Tokyo

Les progrès technologiques actuels nous poussent davantage de la fiction à une réalité à la fois tangible et artificielle. Les machines, prothèses, et autres appareils robotiques envahissent notre quotidien. Mais l’oeil humain, lui, ne peut pas être trompé. Car bien au-delà de notre conscience, nous ne pouvons tolérer ce qui nous ressemble au plus haut point, mais qui n’est pas nous. Tour d’horizon du concept de Vallée de l’étrange, également nommée vallée dérangeante.

Un ingénieur en robotique invente un concept scientifique très actuel

Notre histoire commence en 1978, lorsque Masahiro Mori, un ingénieur en robotique, a défini, pour la première fois, le concept de Vallée de l’étrange. Au départ, les machines dotées d’une intelligence artificielle n’étaient que des formations de métal. Il n’y avait aucune similitude, même éloignée, avec une personne. Chemin faisant, il est aujourd’hui possible pour la science de reproduire fidèlement un corps humain, avec tous ses traits caractéristiques.

En substance, cette notion de « Vallée de l’étrange » prend en compte le fait que si un robot a une ressemblance anthropomorphique trop forte avec nous, une sensation de malaise apparaît. À noter que ce phénomène ne s’applique pas uniquement aux robots, mais également aux prothèses, ou encore aux poupées.

Le phénomène de Vallée de l’étrange peut être visualisé par un graphique, où les ordonnées représentent la familiarité (ou la sympathie), et l’abscisse le degré d’anthropomorphisme. On parle ici de vallée, car au-delà d’un certain niveau de perfection dans la ressemblance, les objets androïdes sont de mieux en mieux acceptés.

Cependant, si la ressemblance humain – machine est trop forte, le sentiment d’empathie se transforme en une grande répulsion. Si l’on veut se faire une idée concrète du concept de Vallée de l’étrange, nous pouvons nous référer à une étude qui a été menée à ce sujet par une équipe de chercheurs de l’Université de Californie.

Aimez-vous les uns les autres, mais pas les humanoïdes

La technologie évoluant, la robotique de 2022 est bien en chair : d’un robot sympathique et sans défense tel que Pepper, nous passons désormais à des êtres humanoïdes, à l’aise dans leurs mouvements. Et surtout, étant capables de reproduire les faits, les gestes, et les mimiques des êtres humains. Nous pouvons alors distinguer deux catégories : la machine qui suscite la crainte, et celle qui ne fait pas peur.

En nous basant sur les travaux d’une équipe internationale de chercheurs, menée par Ayse Sinar Paygin, de l’Université de Californie à San Diego, nous pouvons déceler chez les sujets testés si la sensation de malaise face à un robot humanoïde très réaliste est seulement intuitive, ou quelque chose de plus profond dans notre cerveau. Car d’après Cynthia Breazeal, directrice du Personal Robots Group au MIT, « il n’a pas de preuve scientifique, c’est quelque chose d’intuitif ».

Les recherches de cette équipe s’appuient sur une étude par IRM fonctionnelle, effectuée sur 20 sujets ayant entre 20 et 36 ans. Il s’est avéré, lors de l’analyse des résultats, que le basculement vers la Vallée de l’étrange se produit à cause d’un décalage de perception entre l’apparence et le mouvement.

Trois vidéos ont été présentées durant l’expérience. Elles s’articulaient autour de situations diverses : tout d’abord, les sujets ont vu de vrais êtres avec un aspect biologique et un mouvement humain. La deuxième situation représentait un robot d’apparence mécanique avec un mouvement mécanique. Enfin, la dernière image faisait observer un androïde ressemblant à un humain, mais avec une démarche robotique.

Les conclusions de cette expérience montrent que le cerveau « s’illuminait » au moment où il a été confronté à l’androïde. Il apparaît ainsi que les êtres humains sont « satisfaits » lorsque la chose présentée en face d’eux a un mouvement humain et/ou une ressemblance humaine. Cependant, quand l’attitude et la similitude sont en désaccord, le cerveau ne parvient pas à traiter l’information correctement. L’étude, construite à partir des données de l’équipe internationale de Ayse Pinar Saygin, précise que « les modifications observées se situent dans la région du cerveau qui connecte le cortex visuel (qui gère les mouvements) avec le cortex moteur, qui contient les neurones d’empathie (ou neurones miroirs), gérant nos capacités à percevoir les émotions. »

Pour prendre un exemple concret, nous pouvons prendre la machine Ameca. Elle représente parfaitement l’idée de Vallée de l’étrange. Cet humanoïde très réaliste est dérangeant pour le cerveau humain : le fait de se retrouver face à un être qui nous ressemble trait pour trait mais qui n’est pas comme nous provoque une dissonance perceptive. En effet, le cerveau préfère fuir plutôt que de devoir catégoriser cette pièce de métal grandeur nature.

De plus, depuis plusieurs décennies, nous sommes habitués à des machines censées suppléer l’homme dans ses tâches les plus pénibles. La seule idée d’une matérialisation d’une machine avec un « recouvrement » humain force l’appréhension. L’exposition « Persona », qui était visible au Quai Branly du 26 janvier 2016 au 13 novembre 2016, remettait en question la définition de « vivant », avec les caractéristiques qui lui sont propres sur l’aspect mental, linguistique, cognitif et religieux.

La solution contre la Vallée de l’étrange

Cependant, tout n’est pas noir pour autant. Il y a un point positif à retenir de cette analyse de la Vallée de l’étrange : bien que la pente ascendante soit dure à accepter psychologiquement, la pente descendante, bien que non existante aujourd’hui, finira par voir le jour. En effet, une fois qu’une habitude de ressemblance sera instaurée entre les humains et les machines, les émotions relatives aux humanoïdes redeviendront positives. La Vallée de l’étrange ne sera plus.

Mais dans ce cas, pourquoi s’obstiner à fabriquer des machines qui nous ressemblent ? Le concept de Vallée de l’étrange s’évanouirait aussitôt. D’après le scénariste de Battlestar Galactica, une série où l’on retrouve des robots parfaitement humanoïdes, il s’agit en fait d’une application de l’hubris, c’est-à-dire le fait de croire que notre « forme » humaine doit absolument être répliquée, car elle est parfaite.

De nombreuses conclusions peuvent être établies concernant les robots humanoïdes. Actuellement, des progrès spectaculaires sont faits en la matière, ce qui ne manque pas d’interroger sur l’aspect éthique, scientifique, mais également sur l’adaptation de la psychologie humaine à ces machines dotées d’une ressemblance de plus en plus troublante.

La Vallée de l’étrange promet encore bien des découvertes, et c’est à nous, humain, d’aiguiser notre vision et de « mettre à jour » notre conscience. Ceci afin de mieux accepter cet « autre ». Dans le même ordre d’idée, nous pourrions poser le regard sur la thématique des armes létales autonomes, qui peut créer un nouveau débat sur l’intelligence artificielle et les usages que nous en faisons.

 

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