Développement des talents du numérique en France : entretien avec Mehdi Houas et Rémi Ferrand

Dans un monde où le numérique façonne notre quotidien et redéfinit le paysage professionnel, la Semaine du Numérique et des Sciences Informatiques se présente comme un événement clé, jetant un pont entre les jeunes talents et une industrie en constante évolution du numérique. Afin de mieux comprendre les enjeux, les objectifs et l’impact de cette initiative, nous avons eu l’opportunité de rencontrer deux des organisateurs de l’événement : Mehdi Houas, Président de l’association Talents du Numérique, et Rémi Ferrand, Délégué général de l’association.

Au cours de notre entretien, ils ont partagé leurs avis sur l’évolution des métiers du numérique en France et la nécessité de faire connaître ce milieu aux jeunes collégiens et lycéens. Ils ont également abordé l’implication de l’État et les divers partenariats de cette Semaine du Numérique et des Sciences Informatiques tout en soulignant l’importance de l’engagement des jeunes générations dans les carrières du numérique.

Quelle est la situation des métiers du numérique aujourd’hui en France?

Mehdi Houas: Les métiers du numérique sont actuellement sous tension. Cela signifie que nous avons moins de ressources que ce que le marché serait en mesure d’absorber. Ces métiers connaissent un essor considérable et sont en pleine transformation. Ils sont extrêmement demandés dans tous les secteurs d’activité, pas seulement par les entreprises du numérique. Par exemple, les sociétés telles que Talan embauchent massivement des profils de ce type. Tous les secteurs industriels engagés dans leur transformation numérique souhaitent accélérer ce mouvement et cela requiert des compétences. Ces métiers évoluent car, au fur et à mesure de notre avancée dans la transformation numérique, nous prenons conscience des besoins à satisfaire et des lacunes à combler au sein des entreprises. Côté client, lorsqu’on accompagne une entreprise dans sa transformation numérique, on lui fait réaliser l’existence de besoins non identifiés auparavant, qui deviennent cruciaux car elle comprend ce qu’elle peut gagner en les comblant.

Cette révolution numérique génère donc de nouveaux besoins. Cela inclut les métiers émergents dans l’analyse des données, l’analyse de la data, ainsi que dans le marketing digital. Par exemple, quand on pose la question de l’utilisation des canaux numériques pour un marketing plus précis et plus ciblé, il faut des profils différents de ceux que nous avons l’habitude de recruter. Ce n’est pas une question de talent moindre, mais d’une adaptation aux besoins des entreprises clientes, qu’elles soient dans un secteur d’activité industriel ou autre. Ces métiers sont de plus en plus demandés et mettent en tension les ressources disponibles.

Par ailleurs, ce ne sont pas forcément des métiers qui nécessitent uniquement des compétences techniques. Nous assistons à un changement. Il y a cinq ans, pour travailler dans le domaine du numérique, il fallait être ingénieur. Aujourd’hui, les infrastructures étant en place, il faut trouver des applications pratiques. Nous devons comprendre comment cette technologie peut aider les entreprises à être plus efficaces, plus résilientes et plus innovantes. Cela signifie que nous avons besoin de profils différents, plus axés sur les métiers et plus généralistes. Pour illustrer, il y a cinquante ans, lorsqu’on passait le permis de conduire, on devait connaître le fonctionnement d’un moteur. Aujourd’hui, personne ne pose cette question lors de l’examen du permis de conduire. Autrefois, on considérait que le conducteur devait savoir réparer et redémarrer le moteur. Aujourd’hui, non : celui qui fabrique le moteur a un métier distinct de celui qui conduit. Nous observons une évolution similaire dans le domaine du numérique.

Quelle comparaison peut-on établir entre la France et des pays comme les États-Unis ou la Chine dans le domaine des métiers du numérique ?

Mehdi Houas: En comparant avec les États-Unis et la Chine, je dois malheureusement constater que la France n’investit pas suffisamment. Ces deux pays sont les plus gros investisseurs dans le domaine, injectant des dizaines de milliards de dollars chaque année, un niveau d’investissement que ni l’Europe ni la France n’atteignent. Toutefois, une véritable bataille est en cours. Il est crucial que l’Europe, et particulièrement la France, jouent un rôle majeur pour s’affirmer comme une troisième voie significative.

L’utilisation de l’IA soulève deux problématiques majeures. La première concerne les biais algorithmiques. Il est essentiel de veiller à ne pas introduire de biais lors de la conception d’un algorithme. Prenons l’exemple des États-Unis, à New York, où l’IA a été utilisée pour assister les juges dans leurs décisions. L’algorithme, basé sur les données des trente dernières années, a montré un biais significatif : dans 90% des cas, les délinquants identifiés étaient noirs ou issus de milieux défavorisés. Le programme a ainsi conclu, de manière biaisée, à des peines maximales pour ces individus. Ce cas illustre l’importance de la qualité des données fournies à l’IA.

Un algorithme doit être rapide et soutenu par des machines puissantes pour des décisions efficaces. Mais le facteur le plus critique est la quantité et la représentativité des données. Un nombre insuffisant ou non-représentatif de données peut fausser l’algorithme. Cela s’est produit à New York et également sur la côte Ouest des États-Unis avec un test de reconnaissance faciale alimenté uniquement par des images de personnes blanches. Lorsqu’on lui a présenté une photo d’une personne noire, l’algorithme a échoué à reconnaître correctement le visage. De même, si un algorithme chinois de reconnaissance faciale est entraîné uniquement avec des visages asiatiques, il peinera à identifier correctement d’autres ethnies. Ces exemples mettent en lumière les biais auxquels il faut être attentif lors du développement de l’IA.

Quels sont les principaux objectifs que vous espérez atteindre avec la Semaine du Numérique et des Sciences Informatiques, en particulier concernant l’éducation et la sensibilisation à l’intelligence artificielle qui a tant fait parler d’elle cette année ?

Mehdi Houas: Notre association se consacre au développement de l’attractivité des métiers du numérique. Comme je l’ai mentionné précédemment, ces métiers connaissent une forte tension : il y a moins de personnes formées que ce que le marché peut absorber, et cet écart risque de s’agrandir si nous ne motivons pas les jeunes à s’orienter vers ces carrières. C’est pourquoi, estimant qu’une seule journée dédiée à ce sujet l’année dernière n’était pas suffisante, nous avons étendu l’événement à une semaine complète.

L’objectif est de mettre en avant toute la richesse et le potentiel des métiers du numérique, d’abattre les barrières, de susciter des vocations, et surtout de souligner que ces métiers ne requièrent pas forcément une forte appétence technique. Certes, les passionnés de technologie y trouveront leur compte, mais il y a également une place pour ceux qui sont créatifs, innovants et orientés vers l’utilisation pratique. Ces métiers vont gagner en importance dans l’économie, et il serait regrettable qu’ils ne soient pas équitablement répartis entre les genres masculin et féminin. En France, nous constatons un déficit notable dans nos établissements de formation pour attirer les jeunes filles vers les carrières techniques. Nous souhaitons donc également mettre en avant des exemples de femmes remarquables dans ces domaines. Par exemple, Anne Bouverot, une normalienne, docteure en IA et présidente de Normal Sup, est un modèle inspirant. Elle illustre parfaitement comment les femmes peuvent exceller dans ces domaines tout en menant une vie personnelle épanouie.

Comment la Semaine du Numérique et des Sciences Informatiques compte-t-elle s’adresser spécifiquement aux étudiants et jeunes professionnels ? Quelles opportunités uniques cet événement leur offre-t-il pour s’engager dans ce domaine ?

Mehdi Houas : Il y a une multitude d’initiatives. Je vais laisser la parole à Rémi, car de nombreuses actions ont été organisées pour permettre aux entreprises, aux lycées et aux collèges d’organiser des rencontres entre le monde du numérique et les élèves, de façon ludique et instructive.

Rémi Ferrand: En effet, notre public cible est principalement constitué de collégiens et de lycéens, plutôt que d’étudiants ou de jeunes professionnels. L’objectif est que les collèges et lycées ouvrent leurs portes à des établissements de formation et entreprises du secteur numérique, permettant ainsi aux professionnels de venir présenter la diversité des parcours et des profils dans ce domaine. Nous encourageons aussi nos adhérents, qu’il s’agisse d’entreprises ou d’établissements de formation, à accueillir des classes pour leur faire découvrir de manière concrète et tangible les opportunités dans le numérique. Cela peut se traduire par des rencontres dans les établissements scolaires, des visites d’entreprises, des webinaires, ou encore des journées portes ouvertes. La diversité des interactions est cruciale. Nous avons organisé plus de deux cent cinquante événements sur tout le territoire, ce qui est en soi un grand succès.

Pouvez-vous nous parler des partenariats et du soutien, notamment de l’État, qui ont été essentiels pour la mise en place de cet évènement et comment ces collaborations influencent-elles le contenu et les activités proposées ?

Rémi Ferrand: Ce qui est particulièrement intéressant à souligner, c’est le rôle actif de l’État dans cette initiative. Trois ministères sont impliqués, ce qui témoigne de la mobilisation du gouvernement sur les enjeux du numérique et des compétences associées. Nous avons collaboré avec le ministère de l’Éducation nationale, le ministère de l’Enseignement supérieur, et le ministère de l’Économie et des Finances. Cette implication croisée traduit l’importance des enjeux sociétaux, éducatifs et économiques liés au numérique. Si nous ne renforçons pas nos compétences et nos professionnels dans ce secteur, cela pourrait freiner le développement non seulement du secteur numérique mais aussi de l’économie française dans son ensemble.

L’engagement de l’État, notamment via le ministère de l’Économie et des Finances, a été crucial pour mobiliser les entreprises afin qu’elles ouvrent leurs portes. De même, grâce au ministère de l’Enseignement supérieur, les établissements de formation ont été incités à participer activement. En outre, avec le soutien du ministère de l’Éducation nationale, les chefs d’établissement et les enseignants ont pu amener leurs élèves à découvrir ces entreprises et établissements, facilitant ainsi un échange direct et concret avec les professionnels du numérique. Cela a permis d’ouvrir des portes et de créer un écho positif au sein des organisations publiques et étatiques. Cet effort a joué un rôle clé pour que l’offre et la demande – entre entreprises, jeunes, établissements de formation et enseignants – se rencontrent et se comprennent mutuellement.

Par ailleurs, les entreprises et les établissements participants ont eu toute latitude pour développer et proposer des événements qui leur étaient propres, à condition qu’ils soient accessibles, ouverts à tous et gratuits. Cette liberté a contribué à la diversité et à la richesse des activités proposées tout au long de cet événement.

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