Emerton Data, filiale du groupe Emerton, société internationale de conseil en stratégie et transformation, a récemment publié, en collaboration avec le Hub Institute, un livre blanc intitulé “L’IA générative en entreprise à l’épreuve du réel”. Basée sur des entretiens avec des décideurs clés de 16 organisations majeures, cette étude offre une vision approfondie de l’intégration de la GenAI dans les entreprises, mettant en lumière les avancées, les défis et les perspectives de l’IA générative dans le tissu économique français.
Ce livre blanc propose de mettre de côté les débats sur le potentiel futur de l’IA pour se concentrer sur les questions concrètes et quotidiennes auxquelles les entreprises, grandes ou petites, sont confrontées. Parmi les 16 organisations interrogées figurent une majorité de grandes entreprises françaises (parmi lesquelles Edenred, Sodexo, TotalEnergies, Crédit Agricole ou encore Crédit Mutuel Arkéa), mais également des institutions clés de l’économie du numérique (Bpifrance, la Direction Générale des Entreprises).
Aimé Lachapelle, fondateur d’Emerton Data, commente:
“Le temps de ce livre blanc, nous proposons de mettre sur pause les discussions sans fin sur le potentiel de valeur, la vitesse de l’innovation, et les fantasmes sur la singularité et le remplacement de l’humain, pour nous intéresser aux questions concrètes qui se posent quotidiennement dans les entreprises, qu’il s’agisse de nos fleurons industriels ou de nos startups, en fournissant une photographie la plus contextualisée possible”.
Née du constat que les nombreuses études concernant l’adoption de l’IA générative par les entreprises sont majoritairement anonymes et offrent de ce fait des conclusions de nature souvent générique, l’ambition de l’enquête “L’IA générative en entreprises à l’épreuve du réel” est d’effectuer un panorama documenté, fondé sur des exemples précis et contextualisés.
Le livre blanc vise à répondre à plusieurs questions fondamentales :
- Comment faire les meilleurs choix de technologies et de cas d’usage ? A quels besoins
métiers répondre en priorité ? ; - Quels paris faire sur les IA génériques ou spécialisées et cœur de métier ? ;
- Comment assurer le contrôle, la robustesse et la confiance dans ces nouvelles
technologies ? ; - Comment préparer les organisations à l’évolution du travail, par une intégration
profonde de l’IA générative dans les processus décisionnels et fonctionnels ? .
L’adoption de la GenAI, une priorité
L’IA générative représente déjà un fort vecteur de transformation pour les entreprises. Pour les experts interrogés, bien plus qu’une simple évolution technologique, la GenAI marque une transformation profonde dans la conception même des modèles d’affaires et des processus internes, et représente à ce titre une priorité d’investissement.
L’étude révèle que toutes les entreprises interrogées ont déjà mis en place des cas d’usage industrialisés de l’IA générative. Les modèles de langage de grande taille (LLM), sont désormais intégrés dans divers processus métiers, allant de l’amélioration de l’efficacité opérationnelle interne à des applications plus complexes comme l’interaction client.
Cet intérêt grandissant se manifeste par la création de datalabs dédiés à l’exploration et à l’exploitation de ces technologies. De nombreuses entreprises ont développé leurs propres versions sécurisées de modèles comme ChatGPT, souvent appelées SecureGPT. Ces versions sont adaptées à des exigences spécifiques de confidentialité et de sécurité, intégrant des politiques strictes de contrôle d’accès et de protection des données.
La formation des collaborateurs : un défi majeur
L’un des enseignements les plus significatifs de l’étude est le besoin crucial de formation des collaborateurs. L’adoption efficace de l’IA générative nécessite non seulement une compréhension technique mais aussi une acculturation aux implications stratégiques, éthiques et pratiques.
Renata Alves Santos, Deputy Chief Data Officer de TotalEnergies, explique que le déploiement-pilote de Copilot, l’outil de Microsoft basé sur l’IA générative, a mis en évidence l’importance d’un accompagnement des utilisateurs pour que chaque collaborateur puisse pleinement bénéficier de l’outil.
Applications diversifiées et stratégies innovantes
Les entreprises interrogées ont développé des usages diversifiés de l’IA générative, explorant et exploitant ses capacités dans différents domaines :
Sodexo : Support aux ventes, gestion des contrats et création de Contenus Marketing
Sodexo utilise l’IA générative pour automatiser et améliorer plusieurs aspects critiques de ses opérations. Les chatbots alimentés par l’IA fournissent un support aux équipes de vente en répondant rapidement aux questions fréquentes et en fournissant des informations détaillées sur les produits. De plus, l’IA aide à la gestion des contrats en simplifiant la rédaction et l’examen des documents contractuels. En marketing, l’IA générative crée des contenus personnalisés, rendant les campagnes plus engageantes et efficaces.
Crédit Agricole : Expérimentation et résolution de problèmes métiers
Le Crédit Agricole, à travers son start-up studio la Fabrique by CA, expérimente l’IA générative pour répondre à des problématiques spécifiques. L’IA est utilisée pour analyser des données clients complexes, prévoir les tendances du marché et proposer des solutions financières personnalisées. Ces initiatives visent à accroître la satisfaction client et à optimiser les processus internes.
TotalEnergies : déploiement de copilot pour améliorer la productivité
TotalEnergies a déployé Microsoft Copilot pour aider les employés dans leurs tâches quotidiennes. Copilot, basé sur l’IA générative, assiste les collaborateurs dans la rédaction de documents, la gestion des courriels, et la recherche d’informations internes. L’objectif est de réduire le temps consacré aux tâches administratives répétitives, permettant ainsi aux employés de se concentrer sur des activités à plus forte valeur ajoutée.
Safran Aircraft Engines : Souveraineté et sécurité des données
Safran Aircraft Engines met l’accent sur l’importance de la souveraineté numérique et de la sécurité des données. L’entreprise utilise l’IA générative pour analyser de grandes quantités de données techniques et de maintenance, permettant ainsi de prédire les besoins de maintenance et de prévenir les pannes. Ces analyses nécessitent une infrastructure IT robuste pour garantir la traçabilité et la sécurité des données sensibles.
Giskard : Évaluation de la fiabilité des chatbots
Giskard se spécialise dans l’évaluation de la fiabilité des chatbots, notamment pour prévenir les risques d’hallucination et de désinformation. L’entreprise développe des outils pour tester et valider les réponses des chatbots, assurant ainsi qu’ils fournissent des informations précises et cohérentes. Cette approche est cruciale pour des secteurs sensibles tels que la finance et la santé, où des erreurs pourraient avoir des conséquences graves.
Malgré les opportunités offertes par l’IA générative pour l’interaction clients, certaines entreprises restent prudentes, choisissant de ne pas l’adopter pour maintenir la qualité de la relation client existante, et expriment ainsi des réserves quant à la maturité actuelle de la GenAI dans le cadre d’une interaction directe avec les clients.
Jean-Marie John-Mathews, co-fondateur de Giskard, souligne que les entreprises sont conscientes des risques réputationnels liés aux chatbots, son équipe a d’ailleurs déjà dû arrêter plusieurs projets dont les risques étaient jugés trop élevés.
Ahmed Besbes, Chief Data Officer de Direct Assurance, partage cette prudence :
“Je ne pense pas non plus que l’IA générative soit pour le moment assez mature pour être mise en interaction directe avec les clients, ni que ce soit une direction qu’on envisage aujourd’hui pour notre expérience client”.
Souveraineté et innovation responsable
L’ensemble des entretiens révèle une forte confiance dans la capacité de la France à tracer son propre chemin dans le domaine de l’IA générative, malgré les défis liés aux ressources et à l’expérience en comparaison avec les géants américains. Les experts s’accordent à dire que l’accent mis sur la souveraineté et l’innovation responsable permet à la France de se positionner comme un leader éthique et innovant à l’échelle mondiale, notamment grâce à une formation de haut niveau en mathématiques et en informatique.
Infrastructure et traçabilité
Catherine Duveau, Responsable de Département Data Science & Governance chez Safran Aircraft Engines, insiste sur la nécessité d’une infrastructure IT adaptée et d’outils assurant une traçabilité stricte des traitements et des entraînements de données. Bien que ces exigences puissent sembler freiner l’innovation, elles permettent une meilleure maîtrise et compréhension des modèles d’IA, posant ainsi les bases d’une innovation responsable et sécurisée. Dans le secteur de la défense, ces mêmes exigences s’appliquent, rendant le développement d’un cloud européen crucial pour les entreprises du continent.
Accepter de laisser partir les talents… mais savoir les faire revenir
Les grandes entreprises américaines dominent grâce à leur accès à des capitaux massifs et à des infrastructures technologiques avancées, telles que les supercalculateurs, essentiels pour le développement de modèles d’IA sophistiqués.
Pour Guillaume Avrin, Coordonnateur national pour l’intelligence artificielle à la Direction Générale des Entreprises, l’intérêt pour les ingénieurs français de travailler temporairement pour les GAMAM afin d’acquérir une expérience précieuse du calcul à grande échelle. La majorité des cofondateurs des entreprises d’IA générative françaises qui lèvent actuellement des fonds importants, comme Mistral AI ou H, ont ainsi travaillé aux États-Unis avant de revenir créer leur entreprise en France. Selon lui, l’un des parcours de formation d’excellence en IA consiste à étudier en France, puis à travailler chez un GAMAM, avant de revenir en France.
Rapatriement des talents
Vincent Rapp, Responsable Sectoriel Innovation et Stratégie IA de Bpifrance, estime que permettre aux talents français de partir se former dans la Silicon Valley est bénéfique, à condition de savoir les faire revenir. Il souligne que les salaires en France redeviennent compétitifs et que nombreux sont les cadres français à préférer l’organisation et l’impact de leur travail en France, malgré des salaires potentiellement plus bas qu’aux États-Unis.
Souveraineté nationale et ressources de calcul
Au-delà des considérations économiques, le développement d’une IA générative française est crucial pour la souveraineté nationale. Des initiatives comme celles de Mistral AI et le développement de solutions open source sur des clouds français sont essentielles.
Guillaume Avrin met en avant les efforts pour démocratiser l’accès aux ressources de calcul de haute performance, citant l’extension du supercalculateur Jean Zay du CNRS comme un exemple de ressource publique et gratuite. Cet effort est soutenu par des collaborations avec des acteurs du cloud français comme Scaleway, OVHcloud et OUTSCALE, garantissant ainsi une large disponibilité de la puissance de calcul nécessaire pour l’IA générative.
Aimé Lachapelle conclut :
“Les résultats de l’enquête démontrent qu’un an et demi après l’apparition de ChatGPT, toutes les entreprises interrogées ont industrialisé des cas d’usages utilisant l’IA générative, qui est devenue une priorité en matière d’investissement. Au-delà de l’amélioration de l’efficacité des processus internes, on assiste à une multiplication des cas d’usages, dont certains semblent s’orienter vers l’interaction client, une application à fort potentiel mais complexe à mettre en œuvre. Par ailleurs, une majorité d’entreprises relève que le défi majeur au déploiement de l’IA générative est désormais la formation des collaborateurs à grande échelle. Enfin, nos experts se montrent raisonnablement optimistes quant à la place de la France dans le concert mondial de l’IA générative, malgré des défis incontestables à relever”.
Retrouver le livre blanc ici.