DeepMind donne la parole aux scientifiques utilisant AlphaFold

AlphaFold, le système d’IA pouvant prédire avec précision des modèles 3D de structures protéiques à partir de leurs séquences d’acides aminés développé par DeepMind, a révolutionné la recherche en protéomique. Depuis sa création, il a permis d’accélérer la recherche dans de nombreux domaines : découverte de médicaments, développement de vaccins, sécurité alimentaire, bioinformatique, écologie…

Deepmind a proposé une 1ère version d’AlphaFold à la CASP (Critical Assessment of protein Structure Prediction) en 2018, il y a obtenu la 1ère place tout comme AlphaFold 2, la seconde version à laquelle nous avions également consacré un article dans notre magazine ActuIA N°3, l’a fait en 2020.

En 2021, la société a publié l’article scientifique et le code source expliquant comment elle avait créé ce système d’IA et s’est associée à l’Institut Européen de Bioinformatique de l’EMBL (EMBL-EBI) pour créer la plateforme AlphaFold DB afin de rendre ces prédictions librement accessibles à la communauté scientifique. La dernière version de la base de données contient plus de 200 millions d’entrées, offrant une large couverture d’UniProt, le référentiel standard de séquences et d’annotations de protéines.

Quelques-uns des progrès réalisés grâce à AlphaFold partagés par DeepMind

DeepMind a partagé les avancées des travaux de plusieurs scientifiques.

Matthew Higgins et son équipe : développer un médicament efficace pour éradiquer le paludisme

Le paludisme, ou malaria, a tué environ 627 000 personnes en 2020, surtout des enfants de moins de cinq ans, l’Afrique étant de loin la plus durement touchée.

Le Plasmodium, parasite responsable du paludisme, est transmis à l’humain par un moustique femelle infecté, il vient alors infecter les cellules hépatiques, puis circule dans le sang en colonisant les globules rouges. Il produit des protéines qui se fixent à la surface de la cellule hôte, une seule apparaissant à la fois à la surface du globule rouge, ce qui empêche le système immunitaire de réagir correctement.

Le biochimiste Matthew Higgins, professeur de parasitologie moléculaire à l’Université d’Oxford, a créé un groupe de recherche en 2006 avec la volonté de découvrir un vaccin réellement efficace mais il se confrontait au défi de nature métamorphe des parasites du paludisme.

Actuellement, RTS,S, mieux connu sous le nom de Mosquirix, est la seule inoculation approuvée. C’est un vaccin à base de protéines recombinantes actif contre Plasmodium falciparum, principal parasite responsable du paludisme. Conçu pour les enfants et approuvé par l’OMS en octobre 2021, il ne cible que la première étape de l’infection, lorsque le parasite du paludisme est transporté vers le foie et son taux d’efficacité n’est que d’environ 30%.

L’Institut Jenner, une autre équipe de l’Université d’Oxford a rapporté des résultats prometteurs d’un autre vaccin similaire récemment. Son approche, qui consiste en trois doses suivies d’un rappel un an plus tard, a un taux d’efficacité de 77%. Cependant, comme Mosquirix, ce vaccin s’adresse au premier stade pré-hépatique du cycle de vie du parasite du paludisme

L’objectif de Matthew Higgins et de ses collaborateurs basés à Oxford Simon Draper et Sumi Biswas était de développer des immunogènes vaccinaux pour un vaccin à plusieurs étapes pouvant fonctionner simultanément à chaque phase du cycle d’infection, ciblant l’invasion des cellules sanguines qui suit l’infection, mais aussi le stade final de reproduction du cycle de vie du parasite. Cette étape est très importante car les humains infectés peuvent transmettre le parasite à leur tour à des moustiques précédemment non infectés s’ils sont piqués à nouveau, poursuivant ainsi le cycle.

Jusqu’à l’arrivée d’AlphaFold, leurs modèles étaient imparfaits et incomplets, mais selon Matthew Higgins « AlphaFold nous a permis de faire passer notre projet au niveau supérieur, du stade de la science fondamentale au stade du développement préclinique et clinique. »

Il a d’ailleurs déclaré :

« Je suis sûr que les prédictions d’AlphaFold s’amélioreront de plus en plus. Mais pour l’instant, combiner les connaissances expérimentales avec les modèles AlphaFold est l’approche optimale, car cela nous permet de tout reconstituer. C’est l’approche que nous adoptons pour bon nombre de nos projets. »

Zhong Yan Gan découvre des informations cruciales sur la base moléculaire de la maladie de Parkinson

Plus de 10 millions de personnes dans le monde vivent avec la maladie de Parkinson, 4% d’entre elles sont diagnostiquées avant l’âge de 50 ans, alors que les symptômes de la maladie de Parkinson précoce en toucheraient 10 à 20%.

La recherche doctorale de Zhong Yan Gan, doctorant dans le laboratoire du professeur David Komander, co-supervisé par le professeur agrégé Grant Dewson, au WEHI (Walter and Eliza Hall Institute of Medical Research) à Melbourne, en Australie, porte sur la compréhension de la protéine PINK1 et de son fonctionnement dans nos cellules pour déclencher le recyclage des mitochondries endommagées, un processus connu sous le nom de mitophagie. La mitophagie est essentielle au maintien de la santé de nos cellules, et lorsque PINK1 est défectueux, elle entraîne la mort des neurones dans notre cerveau et le développement de la maladie de Parkinson précoce.

Comprendre PINK1 et son rôle

Une étude à démontré en 2004 que PINK1 pouvait causer la maladie de Parkinson, bien que trouver sa structure soit devenu un enjeu crucial, PINK1 humain était trop instable pour être produit en laboratoire, les scientifiques ont donc opté pour des versions d’insectes (comme les poux humains), plus stables, pour l’étudier.

L’équipe du laboratoire Komander a publié sa structure PINK1 en 2017, d’autres chercheurs ont publié différentes structures pour la même protéine d’un insecte différent (coléoptère de la farine).

Zhon Yan Gan s’est demandé si la structure publiée n’était pas en fait un instantané de PINK1 au cours d’une seule étape d’un processus plus long et a décidé dans le cadre de son projet de doctorat de déterminer PINK1 à chaque étape de son processus d’activation. Ses travaux ont démontré que les structures publiées de PINK1 n’étaient pas une erreur et qu’il s’agissait de différentes formes que la protéine prend à différents stades de son processus d’activation.

Pour comprendre les implications de leurs résultats pour les humains atteints de la maladie de Parkinson, David Komander et son équipe devaient déterminer si leurs résultats s’étendaient à la version humaine de la protéine  et se sont tournés vers AlphaFold.

Zhon Yan Gan a mis deux séquences de protéines dans AlphaFold pour prédire la structure d’un dimère PINK1 chez l’homme, le résultat était presque impossible à distinguer de son travail expérimental avec la protéine d’insecte.

David Komander déclare :

« Nous avons été en mesure de générer immédiatement des informations réelles pour les personnes qui ont ces mutations particulières. Nous pouvons commencer à penser: “Quel type de médicaments devons-nous développer pour réparer la protéine, plutôt que de simplement faire face au fait qu’elle est cassée. »

Melissa Formosa : prédire et combattre l’apparition de l’ostéoporose

Selon l’Institut National de la Santé et de la Recherche médicale (INSERM), l’ostéoporose est à l’origine de près de 400 000 fractures chaque année en France. Près de 40 % des femmes de plus de 65 ans seraient concernées par cette maladie. Alors que l’ostéoporose a une composante génétique importante, peu de recherches scientifiques s’intéressent à ses causes.

L’os est un tissu vivant qui se reconstruit en permanence pour conserver sa solidité. L’os ancien endommagé est remplacé par un nouvel os sain. Des mutations dans le gène WNT1 (un ostéoblaste, ou cellule qui crée l’os), perturbent le processus de construction des os de sorte que les porteurs ont des os fragiles et souffrent d’ostéoporose précoce. Cela tend  à prouver que l’ostéoporose ne peut être considérée comme une maladie qui affecte uniquement les personnes âgées.

Une fracture est encore souvent la première indication de la présence d’ostéoporose. Selon Melissa Formosa, il est nécessaire de trouver des biomarqueurs : un test sanguin, un gène ou une protéine pour rechercher une prédisposition ou un risque élevé de développer l’ostéoporose et ainsi commencer à combattre la maladie avant même qu’elle ne commence.

Dans cet objectif, son équipe a utilisé AlphaFold pour tenter de mieux comprendre les causes génétiques : « Lorsque nous entrons la séquence d’acides aminés dans le logiciel AlphaFold, il crée une image 3D de ce à quoi ressemble la structure de la protéine  et nous permet de comparer les structures protéiques codées par les gènes normaux et défectueux. Avec AlphaFold, nous pouvons visualiser l’impact de mutations génétiques spécifiques, dont certaines ne peuvent provoquer que des changements structurels subtils. D’autres induisent des déformations importantes de la protéine, réduisant sa capacité à fonctionner correctement, contribuant à la maladie. »

L’objectif est de développer des tests sanguins simples pour les jeunes adultes pour mieux prédire la maladie et de trouver de nouveaux gènes et protéines associés à la maladie afin de développer de meilleurs médicaments pour la traiter. La détection précoce et l’introduction de la médecine personnalisée pourraient signifier que l’ostéoporose peut être gérée beaucoup plus efficacement, des millions de vies pourraient être ainsi considérablement améliorées.

Ces trois cas d’usage d’AlphaFold sont loin d’être les seuls présentés par DeepMind qui cite par exemple, Drugs for Neglected Diseases (DNDi) qui fait progresser la découverte de médicaments pour les maladies négligées, telles que la maladie de Chagas et la leishmaniose, touchant des millions de personnes au sein des communautés pauvres et vulnérables ou encore le Centre for Enzyme Innovation (CEI), où les chercheurs découvrent et conçoivent des enzymes pour décomposer les plastiques à usage unique…

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